1) Tous les pionniers américains ne sont pas partis à la conquête de l’Ouest au XIXe siècle. C’est ce que veut montrer le livre de David McCullough, paru en 2011 sous le titre The Greater Journey. Americans in Paris, et traduit en 2014 par Pierre-Emmanuel Dauzat pour la Librairie Vuibert. Dans Le voyage à Paris. Les Américains à l’école de la France, 1830-1900, David McCullough peint le portrait collectif d’Américains en avance sur leur temps. Pour nombre de médecins, inventeurs, romanciers, peintres ou sculpteurs, le voyage vers « l’Europe aux anciens parapets », et plus précisément vers Paris, a non seulement constitué un rite initiatique, mais aussi une manière d’accélérer une carrière prometteuse outre-Atlantique. Auteur de biographies à succès, plusieurs fois couronné par le prix Pulitzer, David McCullough se fait ici le chroniqueur du voyage entrepris vers la capitale française par plusieurs Américains et Américaines de renom, depuis les Trois Glorieuses jusqu’au début du XXe siècle. Les sources mobilisées pour écrire cette histoire collective sont nombreuses, toutes ou presque étant d’origine américaine. S’il s’appuie sur le Galignani’s Messenger, journal créé à Paris en 1814 à l’attention des touristes anglophones et actif tout au long du siècle, l’auteur a essentiellement recours aux correspondances d’étudiants et de personnalités telles James Fenimore Cooper ou Mary Cassatt. Journaux intimes et autobiographies sont enfin largement mis à contribution, en particulier, le journal de l’ambassadeur américain à Paris Elihu Washburne, déposé à la Bibliothèque du Congrès, qui offre un précieux témoignage sur le Paris du siège et de la Commune entre 1870 et 1871.
2) Pour suivre dans leur itinéraire parisien ces pionniers américains d’un autre genre, David McCullough s’intéresse d’abord aux conditions mêmes dans lesquelles s’est effectuée leur traversée de l’Atlantique, simplifiée et accélérée par la généralisation des bateaux à vapeur à partir des années 1840. Puis, l’alternance entre chapitres centrés sur des groupes et ceux portant sur des individualités marquantes, rend à la fois plaisante et stimulante la lecture de l’ouvrage, organisé selon une progression chronologique. Point de départ de ce récit, le début des années 1830, qui pousse au départ vers la France nombre de peintres, comme le Samuel Morse d’avant l’invention du télégraphe, qui estime que sans un passage par Paris, sa formation resterait incomplète ; étudiants en médecine, comme James Jackeson en 1831, ou poètes, comme Oliver Wendell Holmes en 1833. Les premières impressions que leur laisse la capitale, jugée avec sévérité pour son désordre et sa crasse, s’avèrent souvent décevantes. Plusieurs lieux de sociabilité permettent néanmoins aux Américains de trouver rapidement leurs marques : la librairie anglaise de Galignani et son cabinet de lecture, mais aussi le salon du marquis de La Fayette, où affluent les voyageurs de renom dès le lendemain de leur arrivée dans la capitale. David McCullough montre que les années 1830-1840 constituent un temps fort dans la fréquentation des facultés de médecine par les étudiants américains : parmi les 70 médecins formés dans la « Mecque médicale » qu’est alors Paris, un tiers d’entre eux enseigneront par la suite dans les plus prestigieuses facultés américaines, comme Henry Willard Williams, premier professeur d’ophtalmologie à Harvard. Mais le Paris de la monarchie de Juillet ne se contente pas d’apprendre à ces Américains leur futur métier : la capitale se nourrit aussi de leur culture, en particulier en 1845, où culmine la mode des « sensations américaines » : show de Phineas Taylor Barnum exhibant Tom Pouce, exposition indienne de George Catlin à la salle Valentino, concert donné chez Pleyel par le pianiste Louis Moreau Gottschalk. L’entrée dans la seconde moitié du XIXe siècle est marquée par la fréquence des expositions universelles organisées à Paris, qui donnent une nouvelle raison aux Américains de franchir l’Atlantique. C’est ce que fait le sculpteur new-yorkais d’origine française Augustus Saint-Gaudens en 1867, avant de s’y établir durant plusieurs années décisives où il réalisera son Farragut, premier monument célébrant la mémoire de la Guerre de Sécession. Après la parenthèse de la guerre franco-prussienne et de la Commune, durant laquelle les Américains rentrent massivement chez eux, Paris redevient un pôle d’attraction pour les artistes. Viennent s’y installer en famille John Singer Sargent ou Mary Cassatt, qui s’inspirera des premières œuvres impressionnistes de la « Société anonyme des artistes ». Le récit s’achève par la description de deux nouvelles expositions universelles, celle de 1889, fréquentée par plus de 150 000 Américains, et enfin celle de 1900, où Mary Cassatt expose une de ses maternités, tandis que Saint-Gaudens présente quatre de ses œuvres aux visiteurs.
3) Le portrait des Américains venus à Paris au XIXe siècle – pour faire du tourisme, mais aussi pour s’y installer et connaître la célébrité – permet à David McCullough de souligner l’intensité des circulations culturelles franco-américaines. Si certains passages sur l’histoire de la capitale auraient pu être condensés, comme celui, assez attendu, sur l’haussmannisation, on aurait en revanche aimé en savoir plus sur la « colonie » américaine, forte de 4 500 personnes en juillet 1870, constituée de célébrités mais aussi d’anonymes. C’est d’ailleurs cette colonie américaine, et plus précisément celle de la rive droite, qu’éclaire le récent livre de Nancy Green, Les Américains de Paris1 : l’historienne s’y écarte d’une histoire centrée sur les Américains venus en France chercher une inspiration créatrice, pour s’intéresser aux expatriés qui n’ont laissé à la postérité ni romans, ni mémoires.
4En décrivant la colonie américaine établie à Paris au XIXe siècle, l’ouvrage de David McCullough aurait par ailleurs gagné à éclairer les liens qu’elle a tissés avec les autres étrangers alors établis à Paris, qui sont peu mis en valeur, excepté pour l’épisode du siège de 1870-1871 : l’auteur souligne que l’ambassadeur Washburne a protégé les ressortissants allemands en leur attribuant sauf-conduits et secours. Bien que l’apport des archives françaises eût été utile pour faire contrepoint aux écrits de voyageurs et expatriés américains, l’ouvrage n’en constitue pas moins un vaste panorama de l’Amérique à Paris au XIXe siècle, qui ne cède pas à une vision statique de celle-ci puisqu’il s’attache constamment à éclairer l’intensité des circulations d’hommes, de savoirs et de modes entre les deux rives de l’Atlantique.